Matthieu Noko

Matthieu Noko

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M3E GmbH

Une analyse du Leasing Social

L'annonce du résident Emmanuel Macron de débloquer 50 M€ pour permettre le financement de 100 000 voitures électriques pour les foyers modestes, est pleine de bon sens, mais bien loin du compte au regard du nombre de foyers impactés par les ZFEm.

Proposition du Président-Candidat Emmanuel Macron pour favoriser la voiture électrique.

Le 14 Mars, Bruno Le Maire a présenté aux Journées sur l’avenir de l’automobile et de la mobilité, organisées par Mobilians, les propositions d' Ensemble Citoyen pour l’industrie de l’automobile. Puis ce fut au tour d’Emmanuel Macron président-candidat de développer son programme et de présenter ses propositions pour le soutien de la mobilité propre.

«Nous allons mettre en place du leasing pour accompagner les ménages les plus modestes»

Emmanuel Macron compte débloquer une première enveloppe de 50 millions d’euros dès 2023 pour financer un parc de 100 000 voitures en ciblant les foyers modestes et avec une préférence pour les véhicules made in France.

Analyse de la proposition

Deux axes peuvent être pris pour analyser la pertinence de cette proposition. Le premier est social, “près de 7 millions de personnes, soit environ 20% de la population en âge de travailler, rencontrent des difficultés à se déplacer en France. 28% des personnes en insertion professionnelle abandonnent leur emploi ou leur formation pour des raisons de mobilité”

Le deuxième est environnemental. Pour tenir les engagements de la France sur la décarbonisation de ses moyens de transports, il est nécessaire de continuer et d'accélérer la migration de l’utilisation de voitures diesel et essence vers les voitures électriques.

A l’achat, un véhicule électrique en 2022 coûte toujours bien plus que son homologue thermique. Prenons comme exemple la Peugeot 208, pour laquelle l’analyse est simple à mener, car les trois types de motorisation existent pour ce modèle. Même si sa finition est plus complète, le modèle électrique coûte 66% de plus que le premier véhicule essence. On espère que dans l’avenir les constructeurs se mettront à proposer des modèles avec moins d'options et des finitions qui les rendront plus abordables. Cependant, le coût des batteries reste très significatif, et il faudra attendre 2027 pour que les coûts de production d’une voiture particulière soit au même niveau qu’une voiture thermique (étude BNEF). Jusqu’à cette date, il est donc nécessaire de rendre accessible à tous les véhicules électriques et toutes mesures allant dans ce sens sont les bienvenues.

Une mesure forte pour soutenir la mise en place des ZFEm à marche forcée est nécessaire. Sur ce point, il est bon de rappeler, que c’est la loi française qui impose aux grandes métropoles le dispositif de ZFEm. Il est donc normal qu’un dispositif national à la mesure des enjeux soutienne fortement le dispositif.

Par ailleurs, une des demandes principales rapportée par l’Avere-France (association nationale pour le développement de la mobilité électrique) est la nécessité d’avoir une ligne directrice stable des subventions et un bureau unique des acteurs.

Est-ce que le leasing social est vraiment nouveau ?

Emmanuel Macron propose un “leasing social” pour permettre au foyer modeste de s’équiper d’un véhicule propre pour moins de 100€/mois.

Le “leasing social” est dans l’ère du temps puisque en 2021 le leasing représente presque la moitié des financements pour les particuliers. En même temps, différentes mesures existent déjà pour aider les foyers modestes à s’équiper ou sont en cours de discussion. Le microcrédit, un crédit pour un montant maximum de 5000€ est garanti de moitié par l'État, 26 000 prêts ont été accordés en 2021.

Le prêt à taux zéro pour financer un véhicule propre, voté au sénat, est en discussion à l’assemblée nationale pour une mise en service début 2023.

On peut donc dire que la mise en place d’un prêt social n'est pas nouveau, ce qui l’est plus c’est de proposer un système d’aide se concentrant sur l’usage et non sur l'acquisition d’un véhicule.

Combien va coûter cette proposition de Leasing social ?

Combien coûtera à l'État le financement de l'accès à 100 000 véhicules pour moins de 100€/mois ? Analysons trois véhicules électriques entrée de gamme et citadins commercialisés par des groupes Français. La Dacia Spring est proposée avec une offre de 106€/mois avec un premier loyer de 7681€. L'Opel e-Corsa est proposée à 129€/mois avec un premier loyer de 10700€. La Zoe est accessible pour 149€/mois avec un premier loyer de 8950€. Pour proposer ces véhicules à moins de 100€/mois (sur 5 ans), la mesure coûtera 51 M€ par an pour financer un parc de 100 000 véhicules. Cette enveloppe s’ajoute au bonus écologique déjà existant qui doit être reconduit sur l’ensemble du quinquennat pour les foyers modestes. L’enveloppe annoncée par le candidat permettra tout juste de financer la première année. Cette enveloppe fait aussi l’hypothèse que les coûts de mise en place et de fonctionnement du dispositif sont financés par ailleurs. Seront-il à charge des acteurs privés ?

Les conditions d’attribution de ce leasing social n’ont pas été précisées. Il est fortement souhaitable qu’elles soient identiques à celle de la prime à la conversion, pour permettre de rendre le dispositif lisible aux différents acteurs.

100 000 véhicules, une goutte d’eau dans l’océan de la transition écologique.

Le président-candidat parle de 50M€ pour accompagner le financement d’un parc de 100 000 véhicules. Cette proposition peut être comparée dans un premier temps aux véhicules circulant dans les Zones à Faible Émission mobilité (ZFEm). Dans ces zones, les foyers modestes avec des vieux véhicules polluants sont contraints de changer dans les 3 prochaines années. Le calendrier d’interdiction des véhicules les plus polluants est à la discrétion des métropoles. Elles devraient toutes entrer en vigueur avant la fin du quinquennat.

Le parc automobile visé par Emmanuel Macron paraît bien faible au regard du nombre de véhicules impactés par les ZFEm. Prenons l’exemple de la ZFEm Métropole Grand Paris. Depuis le 1er Juin 2021, 200 000 voitures immatriculées ne sont plus autorisées à circuler. 500 000 voitures de plus seront interdites fin 2022, pour arriver à un total de 1,7M de voitures au 1er janvier 2024. Quant à la métropole de Marseille, 350 000 voitures sont impactées et plus de 200 000 pour celle de Lyon.

Quel est le nombre réel de voitures à financer avec le “Leasing social” ?

Le nombre de 100 000 véhicules semble en effet bien loin du compte. Une analyse commune par commune est réalisée uniquement sur l'ensemble des ZFEm du territoire. Les résultats nous montrent que 1,1 Millions de foyers avec un revenu de référence inférieur à 15 547€ devront changer leur véhicule avant la fin du quinquennat.

Dans la Métropole du Grand Paris, ce sont plus de 580 000 foyers modestes qui devront changer de voiture avant le 1er janvier 2024.

ZFE de Toulouse Métropole. La ZFE est mise en place depuis le 1er Mars 2022 et n’impacte que les véhicules utilitaires. Mais d’ici la fin d’année 2023, c’est plus de 18 000 foyers modestes qui sont contraints de changer de véhicule.

Pour que la mesure puisse effectivement avoir un impact environnemental tout en jouant son rôle social, le parc de voitures à financer sur le quinquennat doit être d’1 million de véhicules. Ce qui représente un budget de 2,1 Milliards d’euros sur le quinquennat.


Le tableau montre une proposition du nombre de véhicules à financer en prenant uniquement en compte les besoins des ZFE. Il est préconisé d’augmenter le nombre de véhicules financés dans les 3 prochaines années, jusqu’à atteindre 1 Millions de véhicules par an en 2025. Ce calendrier et le budget associé permettront premièrement, de tenir les engagements de la France sur la décarbonisation de nos moyens de transport et d’atteindre les effets attendus en termes de santé publique. Deuxièmement, cela rendra socialement juste la mise en place des ZFEm prenant la pleine mesure de la réalité du terrain concernant le budget des foyers pour l’achat d’un véhicule électrique.

Une proposition timide

L’annonce du président-candidat de lever 50 M€ pour permettre le financement de 100 000 voitures électriques pour les foyers modestes, est pleine de bon sens. Elle permettra d’amorcer la pompe dans les prochains mois de l’année 2022. Mais cette proposition est bien loin du compte au regard des 1,1M de véhicules possédés par des foyers modestes dans les ZFE. Les mesures déjà définies au niveau national et régional pour accompagner les ZFEm doivent impérativement être renforcées avec comme réels objectifs de ne pas créer un nouveau fossé social. Sinon, les ZFEm déjà décriées par plusieurs candidats à la présidentielle, risquent bel et bien d’être à l’origine d’une nouvelle crise sociale.